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La hot-line du collectif anti-islamophobie en surchauffe
La journaliste de Médiapart a passé une journée au collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), quelques jours après les attentats de Paris. Coups de téléphones, recensement des actes islamophobes, inquiétudes, une journée post-attentat comme les autres. Reportage.
Comme après les attentats de janvier, les remarques ou incidents islamophobes se sont multipliés depuis le 13 novembre. Au Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), le téléphone ne cesse de sonner. Parmi les témoignages, plusieurs personnes ayant subi des perquisitions sans mandat ou assignées à résidence sans comprendre pourquoi.
« Ils ont trouvé quelque chose ? Non ? Il va quand même falloir prendre un avocat… » Leila tape à toute vitesse sur son clavier, casque sur les oreilles. Au bout du fil, une jeune femme raconte la perquisition qu’elle a subie la veille, à son domicile, en région parisienne. Elle s’inquiète car les policiers ont défoncé la porte, qui va payer la note ? Leila (voir notre Boîte noire) la rassure et enchaîne les questions : « Vous travaillez ? Votre mari aussi ? Il porte la barbe, quelle longueur ? Et vous, vous portez un voile ? Le hijab ou autre chose ? Les policiers vous ont remis un document ? Si votre mari se rappelle de quelque chose, il faudra nous l’envoyer… C’est bon, je vous ouvre un dossier. »
Nous sommes dans les locaux du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), quelque part en Île-de-France. L’adresse est donnée avec mille précautions, le personnel présent craint les agressions. Ce collectif d’assistance juridique n’a, il est vrai, pas toujours bonne presse. Cible privilégiée de Caroline Fourest et d’un certain nombre d’éditorialistes nationaux, il est régulièrement accusé d’être anti-laïque, communautariste ou encore proche de l’islam radical, ce que l’association réfute point par point sur son site. Elle martèle aussi que l’islamophobie n’est pas un fantasme. Le collectif a enregistré près de 530 signalements depuis le mois de janvier, et constate que les attaques et humiliations se sont sérieusement intensifiées depuis les attaques meurtrières à Paris et Saint-Denis. Une situation qui rappelle les semaines post-Charlie, en janvier.
En effet, depuis vendredi, plusieurs mosquées ont été dégradées, les groupuscules identitaires ont ciblé, à Lille comme à Pontivy, les Maghrébins ou les « islamistes » dans des manifestations violentes, et certains musulmans sont physiquement attaqués (tout comme un enseignant portant une kippa, à Marseille). Certains forums sont inondés de propos racistes, d’appels à la haine. Au CCIF, la hot-line est surchargée. Les mails s’entassent dans la boîte mail du collectif, tout comme les SMS. « On vient aujourd’hui de m’assigner à résidence, je dois signer quatre fois par jour, j’ai un casier vierge, je suis en CDI. Que faire ? » s’interroge ce père de famille. L’état d’urgence, et la possibilité de mener des perquisitions administratives sans contrôle d’un juge, de jour comme de nuit, s’imprime de manière directe dans le travail mené par le collectif. « J’ai déjà eu trois témoignages depuis ce matin, raconte Leila, et en général, les policiers sont plutôt corrects. Là, cette jeune femme me dit que le policier lui a hurlé dessus, crié sur son beau-père qui est malade et cardiaque, moqué son voile et sa religion. On n’est pas obligé de leur faire subir ça. »
La fébrilité des forces de police vient se rajouter aux humiliations ordinaires. Une mère appelle, sa fille est accusée d’avoir crié « Allah Akbar » à la face de son voisin, ce qu’elle dément, et est convoquée l’après-midi même au commissariat. Leila ouvre un dossier. Un homme, récent converti, qui était en congé lundi et mardi, vient d’apprendre d’un collègue que son cas a été évoqué, sans aucune retenue, sur son lieu de travail : « Il m’a raconté que les gens faisaient des blagues sur le fait que j’aurais pu me faire sauter… Comment retourner au travail après ça ? » Si, juridiquement, le CCIF estime pouvoir faire quelque chose, Leila demande alors l’identité complète des personnes, les incite le plus souvent à mettre par écrit leur récit, et renvoie la fiche à ses collègues juristes. Ces dernières donnent des conseils, interviennent éventuellement, ou orientent vers des avocats. Les uns et les autres consignent les témoignages et leur nature, publient à l’extérieur seulement ce qu’ils ont pu vérifier.
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