« Middle East Eye »
Retour à Molenbeek, entre amalgame et préjugés
Journaliste d’investigation basée à Bruxelles.
Antonio Ponte - Belgique - Bruxelles - Molenbeek
Au regard du traitement médiatique français et international, Bruxelles serait devenu la capitale européenne du radicalisme, le quartier de Molenbeek une no-go zone, plaque tournante du djihadisme. Retour sur une réalité plus complexe entre inégalités sociales et radicalisation.
Pourquoi de nombreux Belges partis combattre en Syrie sont-ils originaires de cette commune bruxelloise ? Comment empêcher ce phénomène ?
BRUXELLES – La Belgique est le pays européen qui, ramené à sa population, compte le plus de combattants en Syrie. Parmi eux, plus de cent ont été répertoriés comme venant de Bruxelles, dont près d’un tiers pour la seule commune de Molenbeek, selon le chercheur en islamologie Pietr Van Ostaeyen. Deux des auteurs des attentats de Paris du 13 novembre ont habité cette commune.
De là à en faire la capitale européenne du radicalisme, une no-go zone, plaque tournante du djihadisme, il n’y a qu’un pas, que certains médias internationaux n’hésitent pas à franchir...
Des habitants qui craignent l’amalgame
À Molenbeek-Saint-Jean, « les personnes concernées par ces filières terroristes ou djihadistes sont une trentaine de personnes » pour une commune qui compte plus de 30 000 jeunes de moins de 30 ans, tempère Sarah Turine, échevine de la ville chargée de la jeunesse. À l’occasion du rassemblement organisé en hommage aux victimes des attentats meurtriers de Paris par des Molenbeekois mercredi 18 novembre, ces derniers souhaitaient « exprimer leur crainte de voir les amalgames tomber sur leur commune et la société se diviser encore davantage », indique-t-elle à Middle East Eye.
Des amalgames qui s’ajoutent aux difficultés sociales déjà lourdes : « Plus de 40 % des jeunes sont au chômage et galèrent pour trouver un boulot », admet l’élue locale. Mais le contexte socio-économique est loin de suffire à expliquer le départ de jeunes de cette commune vers la Syrie. « Il y a des jeunes qui avaient un travail et qui sont partis », précise-t-elle.
La thèse qui « explique leur départ par les structures économiques ou par des processus d’inégalités sociales » est à relativiser également pour Mohssin el-Ghabri, politologue et co-auteur de l’étude « Qui sont ces Belges partis combattre en Syrie ». « Plusieurs de ces jeunes-là disposaient d’un revenu important, d’opportunités économiques, ou d’un emploi », appuie le chercheur pour qui « les facteurs économiques ne sont pas déterminants pour cette génération de djihadistes ».
L’identitaire, facteur déterminant du basculement dans le terrorisme
Si « chaque trajectoire est singulière », deux types de facteurs ont été identifiés par le politologue. « La capacité de partir » est plus forte en Belgique qu’ailleurs du fait de la « proximité géographique de la Belgique » avec les zones de conflit et de « l’efficacité des filières » de recrutement djihadistes. Probablement plus déterminantes, « l’envie de partir de Belgique et la radicalité y sont plus importantes qu’ailleurs ».
Une envie de partir et une radicalité qui plongent leurs racines dans un malaise identitaire, selon le chercheur : « Il y a chez tous ces jeunes-là des ruptures identitaires qui se sont manifestées dans de la violence. Une violence qui, dans un second temps, s’est habillée d’arguments religieux ». Au point que, pour expliquer cette violence, Mohssin el-Ghabri ne juge « pas utile d’ouvrir le Coran ni la biographie du Prophète » mais « préférable d’analyser d’un point de vue sociologique plus que théologique ces jeunes qui se radicalisent avant de se ‘’religioniser’’ ».
Une approche à contre-courant de ceux qui pointent du doigt le salafisme. « Le rigorisme en tant que tel, le salafisme quiétiste, qui est un mode de vie rigoureux déconnecté du politique, n’est pas la rampe d’accès au djihadisme », explique Mohssin el-Ghabri à MEE. En pratique, « ce n’est pas parce qu’un jeune a une longue barbe, ou un pantalon court, qu’il est sur la voie de l’action violente ».
« Ils sont d’abord radicaux et puis religieux, et non l’inverse »
Sarah Turine, l’élue de Molenbeek en charge de la jeunesse, le confirme : « La stigmatisation et la discrimination régulières dont beaucoup de jeunes sont victimes » sont des arguments « souvent utilisés par les recteurs djihadistes ». Cette élue également diplômée en islamologie en est elle aussi convaincue, les motivations religieuses sont « très minimes par rapport aux enjeux plus identitaires ».
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