De Valls à NKM : focaliser sur l’islam pour masquer les responsabilités de l’État


Hanane Karimi

Doctorante en sociologie au laboratoire Dynamiques Européennes (Université de Strasbourg), porte-parole du mouvement Femmes dans la mosquée et l’une des initiatrices de la Marche de la Dignité.

Ouest-France

L’islam et les musulmans. Après chaque attentat, les discussions politiques semblent tourner autour de cette religion et de ses fidèles. Souvent, ces débats montrent l’ignorance du pouvoir sur ces questions mais aussi la continuité coloniale opérant au sein des institutions. C’est le cas des deux dernières polémiques sur lesquelles Hanane Karimi a souhaité réagir.

Pas un jour depuis les attentats du 14 juillet à Nice et le meurtre du père Hammel le 26 juillet, sans qu’une polémique autour de l’islam n’occupe politicien-ne-s et médias. Les débats stériles mais successifs sur « l’islam de France » n’ont qu’un seul but : démontrer, de manière insidieuse, qu’il y aurait un problème avec les musulman-e-s français-e-s. Ainsi, la mesure principale après l’hécatombe meurtrière sur la promenade des Anglais est la création d’une Fondation de l’Islam.

Nous pouvons légitimement nous poser la question de son efficacité ou de sa pertinence sur les potentiels futurs attentats. Mais cette mesure énoncée par le premier ministre, Manuel Valls, est dans la droite ligne de sa gestion sécuritaire et de son ciblage des musulman-e-s. En effet, en janvier 2015, après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, il s’inquiétait déjà de la formation des imams de France. Par quelle matrice logique sommes-nous passés du deuil national au lendemain des attentats à la formation des imams ? On se le demande.

En réalité, cette nouvelle mesure vient préciser les projets d’encadrement du cadre du culte musulman à travers le contrôle des mosquées...et ce, alors même que l’on sait que la « radicalisation » ne se fait pas dans les lieux de culte musulmans.

Dans le même élan, Nathalie Kosciusko-Morizet, députée et candidate aux primaires des Républicains, a récemment déclaré sa volonté de faire du temps électoral une bataille contre le salafisme. Les milliers de manifestants du mouvement social apprécieront son sens des priorités !

Les musulmans : souvent amis locaux, ennemis nationaux

Elle explique, lors de cette interview, qu’elle a tenté de fermer la mosquée de Longjumeau en raison de sa prétendue dérive idéologique mais qu’elle a été confrontée à un manque d’outils législatifs... Le communiqué de l’imam de Longjumeau, Ismaël Mounir, dément cette version et précise même l’intérêt entretenu par NKM pour cette population locale ! Lui qui, dit-il, a toujours entretenu de très bonnes relations avec l’élue parisienne, s’étonne de ses affirmations mensongères au micro de France Info. Il semblerait que ce soit le lot commun de plusieurs élus locaux : soigner les relations avec les musulmans de leurs circonscriptions mais ne pas hésiter à les jeter en pâture pour leurs ambitions nationales.

Au-delà de cette hypocrisie, on s’étonne aussi de l’affirmation diffamatoire selon laquelle la mosquée de Longjumeau serait un « nid de salafistes ». La métaphore animale souligne d’ailleurs le côté prédateur de son analyse. Et c’est ici qu’apparaît la vacuité de l’analyse de NKM, qu’elle aimerait partager avec le premier ministre.

Les raisons de mon étonnement viennent de ma visite récente à la mosquée de Longjumeau. Lorsque les Femmes dans la mosquée (association fondée en 2013), élevèrent leurs voix contre leur relégation au sous-sol de la grande mosquée de Paris, l’imam de Longjumeau - qui ne s’identifie à aucun courant - fut l’un des rares représentants religieux à manifester son soutien. En plus de nous soutenir dans notre lutte, il nous invita à venir prier dans sa mosquée dans laquelle nous assura-t-il, les femmes ne sont reléguées ni balcon, ni au sous-sol ni derrière un paravent. Ismaël Mounir a fait de la place des femmes au sein de la mosquée une préoccupation majeure. Là où mon expérience religieuse m’amènerait donc à qualifier cette mosquée de progressiste dans ses pratiques, NKM se laisse tenter par l’absurde et une ignorance flagrante sur le sujet en la qualifiant de « nid de salafistes ».

De la médiocrité des acteurs politiques sur ces questions

Sa malhonnêteté ne s’arrête pas là. Je m’étonne ainsi du manque de rigueur de son analyse. De fait, si tous les politiciens ont le terme « salafisme » à la bouche, il est nécessaire de se poser quelques questions. Quels liens existent entre les profils des terroristes et leur pratique religieuse ? À quel moment avons-nous découvert qu’ils fréquentaient régulièrement une mosquée dite salafiste ? Quel intérêt à dévier les vrais enjeux liés à la radicalisation que sont, entre autres, la diffusion de vidéos de propagande et le passage en prison ? Au lieu de focaliser sur le « salafisme », dont tout le monde ignore visiblement les tenants et les aboutissants, pourquoi ne pas s’interroger sur l’efficacité de l’état d’urgence et des services de renseignements pour protéger les français ? Enfin, par quel miracle méthodologique NKM a-t-elle réussi à conclure à la nécessité de fermer des mosquées arbitrairement qualifiées de salafistes ?

Étant donné la médiocrité des apports politiques actuels et la tradition dans laquelle elle s’inscrit, la Fondation de l’Islam de France ne sera qu’une énième organisation illégitime comme l’est le Conseil français du culte musulman (CFCM) qui n’a aucune maîtrise sur les problèmes de radicalisation. Nous savons que les terroristes n’ont pas une pratique religieuse classique. Ces manœuvres politiciennes éloignent du sujet principal : la responsabilité politique dans la non-protection des citoyens sous l’état d’urgence et les mesures inappropriées, et même contre-productives, prises au lendemain des attentats.

Il appartient aux musulmans et aux musulmanes français de faire preuve de discernement face à ces multiples provocations et remises en cause de leur autonomie. Le CFCM n’a pas amélioré la vie des musulmans en France. Cette structure n’est pensée qu’à travers le prisme de l’allégeance politique et comme interlocutrice avec le gouvernement. La Fondation de l’Islam, quel que soit d’ailleurs son président, qu’il s’appelle Jean-Pierre ou Mohamed, n’est qu’une ingérence politique de plus dans la gestion du culte musulman dont la gestion et la définition revient aux musulman-e-s eux-mêmes.

Contre-attaqueR

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