Du voile des bonnes soeurs et de l’émancipation des femmes en France

Alain Gresh /

Alain Gresh

Journaliste, auteur de La République, l’islam et le monde, Fayard.

Voir en ligne :

Au XIXe siècle, le nombre de jeunes femmes entrant au couvent à explosé en France. Pourquoi cet engouement et comment a-t-il contribué à l’accession des femmes à plus de responsabilités. Extraits du livre d’Alain Gresh, L’Islam, la République et le monde, Fayard.

Les voies de la libération sont parfois aussi tortueuses que les desseins de Dieu, l’histoire de la France en témoigne. À la fin du règne de Napoléon, on assiste en France à un essor des communautés religieuses féminines. En 1850, elles comptent 70000 membres, puis accomplissent, dans la décennie 1850-1860, un « prodigieux bond en avant », favorisé par la loi Falloux de 1850 qui relance l’enseignement primaire « et suscite, particulièrement pour les filles, une forte demande d’institutrices » : elles sont
90 000 en 1861. En 1880, le pays compte sept congréganistes pour 1000 habitants, presque 1% de la population.

Peut-on imaginer statut plus « opprimé » que celui de ces femmes ou de ces jeunes filles qui se voilent et renoncent à toute vie amoureuse ? Et pourtant… Non soumises à la vie conventuelle, les membres des congrégations s’inscrivent dans la société, notamment
dans les secteurs de l’éducation et de la santé avec le besoin croissant d’institutrices, de directrices d’écoles, d’infirmières, de directrices d’hôpitaux. Vers 1860, deux religieuses sur trois sont occupées dans le secteur éducatif. Charles Sauvestre, un ancien fouriériste, très attentif aux problèmes des femmes, s’interroge en 1867 sur les raisons d’« un tel entraînement qui jette cent mille femmes hors du monde et les fait renoncer aux plaisirs du jeune âge et aux joies de la famille, au milieu d’une société sceptique et matérialiste ». Il esquisse une explication en rappelant le statut très dépendant de la
femme dans la société au XIXe siècle.

L’historien Claude Langlois confirme ce point de vue : « Le Code civil [de Napoléon] a renforcé l’assujettissement juridique de la femme mariée. Celui-ci devient plus perceptible alors que, durant le XIXe siècle, par l’introduction du suffrage censitaire puis universel, l’homme obtient une certaine émancipation politique. Les femmes des milieux aisés voient leur rôle se limiter : la famille, les réceptions mondaines, l’éducation des enfants, les bonnes oeuvres et la dévotion. Celles des milieux populaires ajoutent à leurs sujétions traditionnelles comme domestiques, femmes de paysans ou d’artisans, celles que procure le travail dans les fabriques. Les voies de l’émancipation par l’accès à la vie professionnelle sont encore fort étroites. Sauf justement dans le cadre de la vie congréganiste. »

« Les congrégations, pour se développer, doivent faire appel à des femmes d’action. Elles leur offrent des postes de responsabilité, où elles pourront faire preuve d’initiative et d’esprit d’entreprise même si elles sont contrôlées par le clergé. […] Au XIXe siècle,
les congrégations sont pratiquement les seules à fournir, sur un marché du travail certes un peu particulier, des emplois féminins si variés, et tout particulièrement
des emplois qui demandent un haut niveau de responsabilité. »

Certaines de ces femmes ont joué un rôle éminent, comme Anne-Marie Javouhey, des soeurs de Saint- Joseph de Cluny, qui mena dans la première moitié du XIXe siècle une campagne pour favoriser l’émancipation des esclaves. Incontestablement, poursuit Claude Langlois, les congrégations « ont permis à des femmes d’accéder à des
postes de responsabilité, elles leur ont procuré des activités professionnelles, elles leur ont assuré la protection sociale. On peut aller plus avant. Elles ont contribué sans doute à préparer l’opinion à voir intervenir les femmes dans un certain nombre de secteurs d’activité. Elles ont fait la preuve que celles-ci en avaient la capacité ».

Bien que le contexte soit très différent, on peut appliquer cette analyse à certaines femmes du monde musulman actuel qui portent le foulard, que ce soit en Turquie ou en Iran, et qui s’en servent pour sortir de chez elles et accéder au travail et aux responsabilités.

Contre-attaqueR

Violences à Villiers : les « fake news » du Ministère de l’Intérieur et du Parisien

Encore une personne gravement malade en voie d’expulsion

La lutte contre le sida à l’épreuve du racisme d’État

Les 7 choses à savoir sur (la vraie) Pocahontas

Violences à Villiers : les « fake news » du Ministère de l’Intérieur et du Parisien

Encore une personne gravement malade en voie d’expulsion

La lutte contre le sida à l’épreuve du racisme d’État

Les 7 choses à savoir sur (la vraie) Pocahontas

`