Fateh Kimouche : la lutte en 140 signes et plus encore
Dans le cadre du processus de #LiberAction visant à corriger les erreurs factuelles, les déformations et insinuations douteuses du dernier dossier « antiracisme » de Libération, nous avons décidé de réécrire tous les articles. Le portrait de Fateh Kimouche, paru dans le dossier du 4 avril 2016, a ici été retravaillé. L’exercice de style consistant à garder la structure et la ligne directrice du premier article, plusieurs points n’ont pu être abordés. Le choix a néanmoins été fait de ne pas donner de détails sur sa pratique religieuse, sa barbe, ses vêtements ou sur la manière dont il utilise ou non ses mains.
Le fondateur du site Al Kanz, connu pour ses réactions sans langue de bois et son travail pour “réveiller les consommateurs musulmans”, est devenu un poids lourd sur les réseaux sociaux. De quoi inquiéter ses opposants.
Il accumule 247 000 tweets (et 39 000 abonnés), un record dans le genre. Samedi, un de ses messages en réponse à l’entretien dans le Monde d’Élisabeth Badinter et aux déclarations de Laurence Rossignol, ministre des Droits des femmes (lire pages 2 et 3), a été : "Le racisme commence par une ministre qui insulte les femmes. Ça finit par de la haine, du journalisme de caniveau." Le sens de la formule, de la punchline comme qui dirait, féroce et bien sentie. Certains trouvent cela “violent”. Il répond sans ambages “n’inversons pas les charges, ce qui est violent ce sont les propos d’une ministre parlant de ‘nègres’ et comparant les choix de femmes voilées à l’esclavage”. Fondateur du site Al Kanz, vivant reclus chez lui à cause d’une maladie neurologique, Fateh Kimouche est l’une des stars incontournables de l’Internet musulman.
Ce bavard impénitent, charmeur à sa manière, est surtout un cinglant et redoutable polémiste en 140 signes. Dénonciation de propos racistes, campagnes bad buzz contre des groupes industriels qui mentent sur le halal ou contre la Une islamophobe d’un magazine, appel au boycott, les réseaux sociaux lui servent de support de mobilisation. "L’arrivée de Twitter a tout changé", affirme-t-il. Il y bataille souvent de concert avec son ami Marwan Muhammad, directeur Collectif contre l’islamophobie en France, et d’autres activistes. L’une de ses plus grosses victoires remonte à 2014. Avec l’ONG islamique Baraka City, il organise la campagne “Contre Pékin Express 2014” pour dénoncer le choix de la Birmanie (pays où se déroule actuellement le génocide des Rohingyas) comme lieu de tournage. Après des semaines de mobilisation, ils obtiendront le retrait de plusieurs sponsors de la chaîne et l’arrêt de l’émission.
Fateh Kimouche est un vieux routier de l’activisme numérique. Au début des années 2000, il fait son apprentissage dans l’un des premiers forums musulmans de discussion. Mais il a vite d’autres ambitions. En 2006, il crée son propre site, Al Kanz. Il rêve d’y parler d’entrepreneuriat islamique. S’il se retrouve principalement, dans les faits, à dénoncer les fraudes dans les circuits du halal, il participe aussi de la valorisation de plusieurs marques, produits et restaurants lancés par des musulmans.
"Ultra-rigoureux" et ultra-engagé
Aujourd’hui, il met son audience au service de la lutte contre l’islamophobie. Fateh Kimouche récuse être un leader antiraciste, jure que cela "le gave" d’être sur ce terrain-là. "Mais nous avons raison, nous, musulmans, de chouiner. Je me bats pour que des jeunes femmes voilées ne se fassent pas agresser dans la rue et que des jeunes hommes puissent trouver du travail." Beaucoup ont vu son évolution, de la consommation à un discours plus politique. “Je veux bien croire que ça le gave d’être sur le terrain de l’antiracisme...comme ça gave la plupart de ceux qui y sont. Il y est arrivé progressivement, même s’il suit le CCIF depuis le début par exemple, forcé par l’actualité et la radicalisation raciste de l’État. Et c’est pas plus mal car sa voix compte énormément” analyse une source proche du blogueur.
Produit de l’école républicaine, philosophe de formation, Fateh Kimouche a une redoutable agilité intellectuelle. Il manie habilement les cartes, lance des débats à n’en plus finir, tacle immédiatement sur Twitter ceux qui tentent de lui faire dire ou penser des choses qu’il n’a ni dites ni pensées. Il peut être clivant, dérange souvent mais regrette que, le concernant, le débat tourne davantage autour des “étiquettes” qu’on veut lui coller que sur son positionnement politique. A ceux qui le qualifient d’« ultrarigoriste », il répond ainsi simplement : "Je suis ultra-rigoureux."