Gestion de la « radicalisation » en prison : à qui profite le crime ?

Rachel Cesari Mazzoleni /

Rachel Cesari Mazzoleni

Membre du Labo Décolonial

Depuis quelques années, la question de la gestion de la « radicalisation » en prison est sous le feu des projecteurs...occultant, bien souvent, les problématiques liées à la réinsertion et aux conditions de détention.

« Un dispositif créé dans la précipitation, voire l’improvisation, avec des résultats potentiellement contre-productifs » : voilà la conclusion du rapport remis le 6 juillet 2016 par Adeline Hazan, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, au sujet des cinq « unités dédiées » à la détention des prisonniers dits « radicalisés ». Ces unités ont été formellement mises en place au début de l’année 2016 et présentées comme la mesure phare du projet de lutte contre l’épineux problème de la « radicalisation » [1] en détention.

Si Mme Hazan parle de la « complexité de la tâche » à accomplir par l’administration pénitentiaire en ce qui concerne cette nouvelle et éminente priorité ministérielle, certains commencent déjà à parler eux, de « vacuité » [2] en la matière.
Parce qu’alors que la France est l’un des pays européens les plus sanctionnés pour les injustices structurelles de ses systèmes policier et pénitentiaire, et qu’un nouveau « record » de surpopulation carcérale vient d’être atteint, le fait que la gestion des détenus dits « radicalisés » soit un véritable casse-tête qui préoccupe prioritairement l’administration pénitentiaire peut paraître pour le moins inapproprié.

Avec la hausse des événements revendiqués par diverses organisations dites « radicales » et commis sur le sol français depuis 2012, les établissements pénitentiaires n’ont bien sûr pas été épargnés par l’intensification des atteintes sécuritaires qui ont touché l’ensemble de nos espaces et de nos expressions publiques et privées.
La question de la « radicalisation islamiste » en prison et de la gestion des détenus dits « radicalisés » est donc devenue un élément central des efforts fournis dans les textes et sur le terrain. Dès 2012, cette focalisation sur la question des détenus dits « radicalisés » ou « en voie de le devenir », semble avoir été orchestrée avec beaucoup d’attention.
Si les dispositifs mis en place portent apparemment le sceau de l’improvisation, le paradigme sécuritaire, certes déjà gagnant en milieu pénitentiaire, trouve un terrain très fertile dans l’image du détenu « radicalisé » : la figure de l’ennemi intérieur/ennemi de l’intérieur est un champ d’expérimentation idéal pour tous les acteurs du marché sécuritaire. C’est ce qui explique les efforts actuels an matière de recrutement, de budgets et le soutien appuyé aux plans de recherche-action sur le sujet, alors qu’en parallèle, aucune véritable politique publique en faveur de la réinsertion n’est impulsée sérieusement.
Pour le dire rapidement, l’Histoire et les théories de la gestion des classes laborieuses transformées en classes dangereuses ont prouvé qu’on peut légitimement craindre, à terme, l’extension de certains dispositifs utilisés en milieu carcéral dans les zones péri-urbaines malmenées par la politique de la Ville, où le rapport confinement/mise à l’écart est comparable [3]
. Il ne s’agit donc malheureusement pas de croire que les inquiétudes développées ci-dessous sont strictement circonscrites au seul domaine carcéral et pénitentiaire.

Cette focalisation sur la « radicalisation islamiste » en prison sert tout à la fois deux objectifs. Tout d’abord, il s’agit de conforter l’élan sécuritaire post-2012 avec la création d’un arsenal législatif global digne d’un gouvernement qui se croit ironiquement … « radical », fabriquant état d’urgence et état de siège à l’emporte-pièce, stigmatisant et persécutant une partie de la population pour son appartenance, réelle ou supposée, à la religion musulmane. Et par un simple principe de détournement de l’attention, cela sert un deuxième objectif : éviter de parler des vrais problèmes des prisons françaises et continuer d’ignorer les quelques propositions tangibles de lutte contre la récidive à travers le recours aux dispositifs non-répressifs.
Les multiples condamnations de la France pour des conditions de détention jugées dégradantes et inhumaines, une politique pénale et pénitentiaire de la domination qui nourrit la surpopulation et la récidive, l’échec patent des réformes pénitentiaires successives…tout cela est occulté face à une problématique qui est certes réelle (le travail à réaliser avec les criminels incriminés pour fait de terrorisme ou d’appartenance à des réseaux dits terroristes), mais qui ne concerne qu’une petite minorité de la population pénale et pénitentiaire.

Partant de là, pourquoi ne pas considérer cette obsession sur la « radicalisation » en détention comme un épiphénomène de la politique du spectacle carcéral, qu’on serait tenté de qualifier de mineur, concernées-s que nous sommes par les éminentes priorités de la situation pénitentiaire et carcérale en France ? On aurait tort, car cet épiphénomène est un bien commode point d’entrée dans le sujet carcéral. Alors que la France transforme ses prisons en « zoos humains » [4], (j’allais dire « sans que ça ne choque personne », mais ce serait oublier l’indignation de nos députés au regard des trop bonnes conditions de détention de Salah Abdeslam [5]… !) il est raisonnable de s’interroger sur la manière dont l’intensification actuelle du dispositif sécuritaire global se traduit en détention. Quelles conséquences sur l’incroyable chemin de croix que connaît le système pénitentiaire et sa très espérée lutte contre la récidive et en faveur de la réinsertion ?

État d’urgence permanent

Pour nous, celles et ceux du dehors, depuis 2015 il y a l’état d’urgence… mais l’état d’urgence, c’est l’intégration des mesures d’exception dans le droit commun. Or, le régime de détention c’est tout sauf du droit commun… dans un espace clos où la règle c’est l’interdiction, c’est concrètement l’état d’urgence en permanence.
On aurait donc pu penser que tout cela n’aurait aucune conséquence en détention. Mais dans les faits, dès janvier 2016, l’Observatoire International des Prisons a commencé à alerter sur la systématisation de fouilles intégrales à l’issue de parloirs pour certains détenus : le cadre de l’état d’urgence avait alors été invoqué par l’administration pénitentiaire pour légitimer ces mesures de contrôle.

© G. Korganow / CGLPL

Malheureusement, la question des fouilles intégrales dépasse largement le cadre de l’état d’urgence. Il faut peut-être préciser que les surveillants sont souvent les premiers à souhaiter la généralisation de ces fouilles intégrales, et pas seulement aux détenus dits « radicalisés » [6] mais à l’ensemble des détenus qui présenteraient – plus ou moins ponctuellement - un risque pour la sécurité des agents, des usagers et des biens. Il s’agit en somme de quiconque interfèrerait plus ou moins avec le strict cadre du « sous-droit pénitentiaire » [7] qui s’applique en détention. Un droit de l’arbitraire et de l’ultra-sécuritaire contre lequel toute résistance est, pour moi, humainement compréhensible.
Pour la petite histoire, la systématisation des fouilles intégrales réalisées sans motif dûment motivé par un risque tangible de trouble à la sécurité de l’établissement, a été interdite par la réforme pénitentiaire de novembre 2009 portée par Rachida Dati [8]… Cette même année, J.J. Urvoas, alors député, se prononçait résolument contre ces fouilles à nu, jugées inhumaines et dégradantes par la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et le Comité européen pour la prévention de la torture.
Mais il faut croire qu’à fonction et contexte politiques changeants, convictions ébranlées, puisqu’en 2016 le respect des conditions humaines de détention, édictées par l’ensemble des règlements internationaux qui se rapportent à la dignité humaine, n’est pas une priorité pour un gouvernement socialiste français. A contrario, la sécurité fait encore une fois un large consensus. Début avril 2016, le même Jean-Jacques Urvoas, maintenant Ministre de la Justice, a ainsi fait voter au Sénat une proposition d’amendement concernant la systématisation des fouilles intégrales au plus vaste projet de loi sur « la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale ».

Sachez d’abord que l’ensemble de ce projet de loi a connu un rapide cursus de navettes parlementaires et a massivement été adopté [9], puis promulgué le 3 juin 2016 dans un murmure médiatique généralisé. La loi est alarmante de… « radicalisation ». « Radicalisation » d’un pouvoir qui désarticule quelques grands principes bien fondamentaux de démocratie et, osons le dire de vivre-ensemble, sacrifiés sur l’autel de la politique du spectacle et de l’obsession sécuritaire. Plus rien de neuf sous le soleil du socialisme à la française quoi…

Prenons le temps de nous pencher sur certains points de cette loi.

Nous y retrouvons tout naturellement l’amendement d’Urvoas qui concerne les fouilles intégrales qu’il a défendu en ces termes devant le Sénat : « Les fouilles que je propose de modifier étaient permises et autorisées. Simplement, elles étaient individualisées, et donc mal utilisées. »
Il est édifiant de constater que les fondements criminologiques et des sciences pénale et pénitentiaire sont à nouveau mis à bas, sans scrupule, pour servir une conjoncture politique extrêmement peu propice à la réflexion.
Il faut bien comprendre : l’individualisation de la peine et de son exécution, c’est juste le B-A-BA des postulats pénologiques, criminologiques et de la science pénitentiaire. Entendre Urvoas, ministre de la Justice, dire qu’une mesure pénitentiaire qui attente à la dignité humaine est mal employée parce qu’individualisée, c’est encore une fois constater l’imperméabilité de la pensée politique aux influences de la raison.
Voilà donc, depuis juin, ré-intégrée à l’arsenal législatif la possibilité de pratiquer des fouilles intégrales systématiques dans un cadre réglementaire sciemment opacifié et discrétionnaire, puisque « le chef d’établissement – pénitentiaire - peut ordonner des fouilles dans des lieux [– parloirs, promenades…-] et pour une période de temps déterminés, indépendamment de la personnalité des personnes détenues », et ce, « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduction d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens » [10].
Bien que nous ne doutions pas du sérieux de l’administration pénitentiaire et de ses agents, il paraît aisé de percevoir l’in-définition de ces « raisons sérieuses » et l’ouverture aux dérives qu’elle induit. Car, même s’il est précisé que « ces fouilles doivent être strictement nécessaires et proportionnées », et qu’elles doivent être « spécialement motivées et [faire] l’objet d’un rapport circonstancié transmis au procureur de la République territorialement compétent et à la direction de l’administration pénitentiaire », toute cette terminologie ne fait que s’ajouter à la longue liste des vœux pieux que l’administration pénitentiaire a prononcé depuis sa création.
Pour preuve, depuis 2009 et malgré la loi, les fouilles intégrales continuent d’être pratiquées à chaque fois que le motif de sécurité est invoqué, autant dire plus que de raison [11]. La question des fouilles à nu – systématiques ou pas - appartient ainsi à ces « communs » de l’affrontement entre sciences pénitentiaire/probationnaire, et logique sécuritaire ; il s’agit là d’un sujet central de la gestion des corps en milieu coercitif qui concerne l’ensemble de la population carcérale et pénitentiaire. Dans l’état actuel des pratiques, et tant que les politiques publiques n’encourageront pas réellement les alternatives à l’emprisonnement et à l’ensemble des dispositifs non-répressifs, l’administration fait et fera le choix de recourir à des méthodes inhumaines et dégradantes pour tenter d’atteindre un illusoire risque zéro. Il y a peu de doute sur le fait qu’à terme, ces interactions directes entre humains soient remplacées par des équipements mécaniques ou robotiques fournis et entretenus par la poignée d’entreprises françaises qui se partagent le marché carcéral.

Agent du renseignement pénitentiaire : un métier d’avenir

Mais revenons-en au fameux texte de loi promulgué le 3 juin 2016. A sa lecture, un chapitre relatif aux « Dispositions renforçant la répression du terrorisme » [12] a retenu toute mon attention. L’analyse paraîtra probablement hâtive, exagérée ou impertinente à certains, pourtant ce que la loi formule pour moi ici, c’est une dangereuse subordination du Ministère de la Justice au Ministère de l’Intérieur. Laissez-moi m’expliquer avec un rappel historique.
Depuis 1911, les corps de métiers liés à l’administration pénitentiaire sont rattachés au Ministère de la Justice [13]. Il s’agit là tout bêtement de la reconnaissance du fait que la gestion de l’exécution de la peine appartient au domaine judiciaire et non au pouvoir exécutif, que les questions post-sentencielles sont une prérogative de la justice, pas de la sécurité intérieure. Ainsi, les agents de l’administration pénitentiaire, séparés entre missions de surveillance et de sécurité, et missions d’insertion et de probation, doivent normalement répondre aux missions générales de leur ministère, prioritairement des prérogatives judiciaires. Avec la réforme Amor de mai 1945, l’administration pénitentiaire devenait garante de « l’amendement et du reclassement du prisonnier » : en 2016, si on parle plutôt de « travail sur le passage à l’acte » et de « réinsertion » (toujours dans l’optique de favoriser la lutte contre la récidive) c’est que pendant plusieurs dizaines d’années, des générations d’agents pénitentiaires ont été considérés comme des travailleurs sociaux chargés de produire un travail de diagnostic et d’accompagnement en faveur des détenus. Le système a ainsi produit, presque malgré lui, un corps de fonctionnaires compétents qui crient aujourd’hui leur colère face à l’instrumentalisation dont ils font l’objet [14] .
Par ailleurs, motivée par l’éminence du projet de Sécurité Intérieure, l’existence de « passerelles » en matière de Renseignement entre administrations n’est pas une nouvelle. Qu’il existe un renseignement pénitentiaire n’est ni nouveau ni surprenant.
Toutefois, ce qui l’est, c’est le fait que la subordination des SPIP [15] et des personnels pénitentiaires de surveillance et leur soumission aux impératifs des services de renseignements et de sécurité intérieure fasse l’objet d’une loi.
Car voilà, depuis le 3 juin 2016, il est législativement entériné que les questions de Sécurité Nationale prévalent sur les missions des services pénitentiaires. En effet, grâce à ce chapitre relatif aux « Dispositions renforçant la répression du terrorisme » du nouveau texte de loi, « les agents individuellement désignés et habilités appartenant à l’administration pénitentiaire peuvent être autorisés à : » grosso modo, devenir des agents du renseignement, (je laisse le soin à chacun d’aller consulter la longue liste des nouvelles « autorisations » - missions - des services pénitentiaires) [16] . Ce que le texte signifie dans la pratique, c’est donc que les agents de l’AP « désignés » - par une instance non précisée -, « des personnels triés sur le volet » [17], doivent désormais servir de courroie de transmission aux services de renseignement pour prévenir la Menace Intérieure. Outre la création de postes et l’accroissement des moyens alloués au renseignement pénitentiaire, cette mission générale - et désormais prioritaire - de l’administration appelle à l’implication de tous ses agents, aux dépends de leurs missions initiales.

Des « référents radicalisation » avaient déjà été mis en place dans les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation dans le cadre des PLAT [18] pour être les intermédiaires de cette entreprise. À présent, des grilles d’évaluation sont distribuées aux agents qui interviennent en milieu carcéral (surveillance, insertion et probation, même les services médicaux subissent des pressions pour participer à la collecte et au partage d’informations normalement protégées par le secret professionnel) pour signaler la menace de « radicalisation » d’un détenu [19] – ce, au mépris complet de la déontologie et de la relation travailleur social/détenu.
L’orientation de ces détenus dits « radicalisés ou en voie de le devenir » est désormais diligentée, pour une prise en charge, vers des binômes éducateur/psychologue qui n’ont la plupart du temps aucune expérience en milieu pénitentiaire, qui agissent dans un périmètre d’intervention indéfini, et dont les méthodes et les pratiques sont déjà invalidées par des CPIP dépossédés de leur savoir-faire d’expertise et de prise en charge. Pour remplacer ces champs de compétences, J.J. Urvoas compte sur « des recrutements de personnels venant des services de renseignement du premier ou deuxième cercle afin d’accélérer la transmission des savoirs »I [20] … Quelle va être la marge de manœuvre des agents pénitentiaires dans cette exigence de récolte de renseignements ? Plusieurs d’entre eux ont déjà réagi, non sans conséquences.

La voie de la dé-radicalisation : le parcours du combattant…

Donc, maintenant qu’il est admis que le fait de « créer, au sein de l’administration pénitentiaire, un service de renseignement de plein exercice appartenant au second cercle de la communauté du renseignement (art. L. 811-4 CSI) » [21] est une priorité gouvernementale, et que ça ne dérange personne sauf les associations de veille et de défense des détenus, passons à l’autre volet de la question de la « radicalisation » en détention : la prise en charge concrète de ces détenus dits « radicalisés », ou en voie de le devenir. À cet effet, les cinq « unités dédiées » évoquées en introduction de ce développement rassemblaient au 1er juin 66 détenus [22] sur 4 établissements. Comme je l’annonçais également en préambule, la Contrôleuse Générale des Lieux de Privation de Liberté dresse déjà un bilan négatif de cette expérience qui mobilise pourtant plus l’énergie et l’attention de nos représentants politiques que les nombreuses impasses carcérales, qui elles, sont déjà multi-séculaires…
Les Unités Dédiées ont été mises en place pour endiguer la menace de prosélytisme dans un contexte de surpopulation carcérale généralisée, c’est là le premier motif invoqué pour justifier le rassemblement, dans des quartiers dédiés, de détenus signalés « radicalisés ou en voie de radicalisation ». Bien que l’opportunité même de rassembler des détenus poursuivis pour association de malfaiteur est remise en question, on nous explique qu’il faut faire avec la réalité des murs : le taux de surpopulation, effectif et important dans presque tous les établissements où sont incarcérés les détenus dits « radicalisés » [23] , empêcherait la prise en charge de ces derniers et amplifierait la menace de prosélytisme qu’ils représenteraient.
Peu importe, une fois rassemblés, qu’ils puissent avoir une influence néfaste les uns sur les autres, malgré le fait que les UD réunissent des profils extrêmement différents, ou peu importe que cette réunion offre une proximité inespérée pour affilier d’éventuels réseaux jusque-là déconnectés. Fi également des phénomènes de prophétie auto-réalisatrice ou des conséquences de l’affectation en UD sur les suites du parcours pénal et pénitentiaire des détenus concernés. On n’a pas plus cure que même les magistrats qui doivent annoncer leur transfert en unité dédiée aux détenus signalés par le renseignement pénitentiaire sont incapables de leur signifier la cause de ces transferts tant le motif même du signalement par les renseignements pénitentiaires est flou. On continue simplement de mobiliser de plus en plus de moyens humains et matériels sur des protocoles inaboutis et déjà invalidés, et ce pour des groupes de détenus de plus en plus petits...on saisit là une opportunité inespérée d’expérimenter des dispositifs sécuritaires exorbitants. L’une des particularités de ces expérimentations, c’est qu’elles concernent un public pénitentiaire essentiellement composé de prévenus, c’est-à-dire en attente de jugement. Des personnes dont la culpabilité est fortement soupçonnée au regard de l’instruction, mais qui n’ont encore fait l’objet d’aucune condamnation, sur lesquelles on emploie les mesures les plus répressives de l’arsenal carcéral. C’est dire la capacité des pouvoirs publics à traiter cette problématique avec la distance et le sérieux qui s’imposent.
Dans ces UD, les situations sont sensiblement disparates [24] mais les détenus doivent normalement y bénéficier d’un régime de détention ordinaire, où l’encellulement individuel, prescrit par la loi depuis 1875 (l’un des plus vieux credo de l’AP) y est… radicalement respecté. Ce régime de détention ordinaire des UD n’est que supposé selon les unités et selon les détenus : alors qu’à Osny et à Lille-Annoeullin la direction des établissements a élaboré un support réglementaire additif pour définir le cadre de ce régime de détention sui generis, dans les autres UD les protocoles précis du cadre de détention restent à l’appréciation discrétionnaire des établissements, un bricolage réglementaire plus ou moins défini et arbitraire.
Sur l’ensemble des détenus en UD interrogés par les contrôleurs des lieux de privation de liberté, une partie dit être satisfaite de cette affectation : pour certains d’entre eux l’affectation en UD signifie l’extraction d’un quartier surpeuplé et/ou insalubre et donc l’accès à un quotidien moins dégradant ; pour d’autres il s’agit de se féliciter de la reconnaissance de leur statut et de la satisfaction d’être réunis.
Mais la majorité des affectés en UD révèlent de nombreux points négatifs : sentiment - justifié - de stigmatisation, peur d’être influencé voire instrumentalisé par des personnalités ascendantes, souffrance provoquée par le confinement exorbitant du régime de détention, éloignement familial, accès compliqué aux soins, accès souvent impossible aux activités socio-culturelles et à l’emploi, craintes – justifiées - des répercussions de l’affectation sur la suite du parcours pénal et pénitentiaire, incompréhension de ce qu’on attend d’eux face au flou délibéré des programmes de dé-radicalisation qui sont censés accompagner l’affectation….
En effet, outre la mise en place des UD, l’Administration Pénitentiaire entend promouvoir des « programmes de dé-radicalisation » qu’elle tente, plus ou moins maladroitement, de mettre au point depuis 2012. On l’a dit, plusieurs recherches-action ont été élaborées à ce sujet [25]. Pourtant, au moment où l’UD de Lille-Annoeullin accueillait déjà ses premiers détenus, les agents chargés de mettre en place les dits-programmes recevaient comme consigne de « faire preuve d’imagination [26] » ... Le contenu de ces programmes est donc encore largement indéfini et difficile à mettre en place, mais cela n’empêche pas notre optimiste ministre de la Justice de déjà vouloir les étendre sur 27 établissements.

Un budget conséquent alloué au renseignement pénitentiaire mais des recrutements insuffisants et une mise sous tutelle des SPIP ; des programmes de dé-radicalisation fourre-tout et inexécutables du fait de l’absence des moyens qui y sont consacrés ; des stratégies de détection et de signalement contre-productives et discriminatoires ; des régimes de détention extrêmement coercitifs, dont ni le bien-fondé ni les bienfaits n’ont été prouvés ; et tout ça aux dépends de l’ensemble de la population pénitentiaire : voici ce que de concert, la société civile, la société marchande (le consortium des entreprises du partenariat public/privé ou système de « gestion déléguée ») et l’État valident comme paradigme pénitentiaire à travers la fumeuse politique de lutte contre la « radicalisation » en détention.

Attention, il est évident qu’il existe en France des réseaux de criminels affiliés aux actions et aux revendications de groupes « radicaux islamistes » ou prétendus tels. Il est également tangible qu’il arrive parfois que leurs routes se croisent en prison. Mais alors que même la directrice de la Direction de l’Administration Pénitentiaire, Isabelle Gorce, admet « qu’il n’y a pas de relation de cause à effet directe entre le fait d’avoir été incarcéré et de se retrouver aujourd’hui en prison pour des faits de terrorisme », comment expliquer que quelques centaines de détenus fassent priorité sur plus de 69 000 autres ?
Que nos politiques soient incapables de faire le lien entre les ingérences occidentales dans des zones géo-stratégiques clairement identifiées et la hausse des atteintes à la sécurité physique des populations occidentales n’est pas vraiment envisageable. En revanche, ce qui l’est, c’est que la figure idéale du « terroriste islamiste » – réel ou supposé – est une opportunité parfaite pour développer un arsenal sécuritaire qu’on ne manquera pas de voir étendu à terme aux autres catégories de l’ensemble de la population pénitentiaire.

Voilà donc le véritable programme de ce quinquennat socialiste en matière pénitentiaire. Car qu’on ne s’y trompe pas : toutes les bonnes intentions manifestées dans la réforme pénitentiaire de 2014, en elle-même déjà inaboutie, ne manqueront pas de rester lettre morte dans un tel contexte. J’entends déjà ceux qui affirmeront que l’un (la focalisation sur la question des détenus dits « radicalisés ») n’empêche pas l’autre (la résolution des problématiques qui concernent l’ensemble des détenus) … Bien sûr que si . Bien sûr que la mobilisation des budgets, des agents et de la recherche-action institutionnelle sur la question de la « radicalisation » monopolise de plus en plus les ressources aux dépends des autres urgences carcérales, qui n’avaient déjà pas besoin de ça... Ce ne sont pas de vagues – bien que parfois sincères – professions de foi en faveur des alternatives à l’incarcération qui résorberont l’inflation carcérale. Ce n’est pas non plus, n’en déplaise à ceux à qui ça profite, la construction de nouveaux établissements pénitentiaires : l’histoire, l’expérience, les sciences nous prouvent le contraire depuis la création de la peine-prison.

Tableau de la surpopulation carcérale : expression d’un néo-colonialisme pénitentiaire

En attendant de réinventer notre rapport aux phénomènes de délinquance et de criminalité, et aux manières dont la société choisit d’y réagir, la nécessité de vider les prisons est plus éminente que jamais [27]. Au 1er juillet 2016, l’administration pénitentiaire dénombre 69 375 détenus pour 58 311 places opérationnelles.
Comme presque toujours pour les services publics, la situation est pire dans les Outre-Mer, dont tous les établissements les plus importants connaissent les taux de surpopulation les plus dramatiquement élevés de France. La palme de l’horreur revient au centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania en Polynésie française : au 1er avril 2016, 411 détenus y étaient présents pour une capacité opérationnelle de 165 places.
En 2008, un rapport d’information parlementaire faisait état de « conditions de détention observées sur place [qui] sont indignes de notre pays [et] méconnaissent les droits fondamentaux ». Des élus d’une République coloniale exigeant l’application de leur conception du droit sur des territoires globalement paralysés par le système de colonialité qui assure à ces mêmes élus leur position dominante... je ne sais pas si vous me suivez mais il y a là de quoi rester songeuse.
Actuellement, l’Observatoire International des Prisons compte sur ses propres formulaires, fournis aux détenus sur place, pour espérer garder un œil sur l’évolution de la situation dans l’établissement, l’Administration Pénitentiaire ne lui ayant pas fourni ses derniers rapports d’activité [28].
Pour résumer, Faa’a Nuutania peut faire office de paroxysme de l’inhumanité des conditions de détention qu’impose l’État français de manière systémique du fait d’une surpopulation encouragée : des locaux incroyablement vétustes, une insalubrité extraordinaire, un accès quasi inexistant à l’emploi, à la formation, aux activités socio-culturelles, aux services d’insertion et de probation, et même aux services médicaux, soit autant de matières propices à une socialisation carcérale nocive et à la récidive.
À la vue de ce tableau on pourrait vraiment croire à une situation inextricable…
Il existe pourtant, depuis plusieurs dizaines d’années maintenant, un appareillage théorique qui suggère des perspectives pratiques pour refonder notre approche et notre gestion de la peine. Les champs de recherche concernant la délinquance, la criminalité et la peine sont ainsi investis depuis longtemps par les apports des sociologues, criminologues, historiens, économistes ou démographes, qui proposent des voies d’issue à ce modèle faussement indépassable qu’est la prison.
Pour se raccorder à l’actualité, je cite ici Martine Herzog-Evans, éminente spécialiste de l’exécution des peines, radicalement critique envers la réforme pénitentiaire de 2014, qui appelle par exemple à une redéfinition de l’article 723-15 du Code de Procédure Pénale [29], au recours à des peines ultra-courtes (accompagné de la suppression des peines courtes et moyennes) et réaffirme l’importance de l’individualisation humaine, matérielle et psychologique de la préparation de la sortie de prison [30]. Elle prévient également de l’inutilité de l’inflation législative, totalement inopérante dans le domaine et qui accapare l’effort réformateur « de terrain ».


© Séverin Millet

Selon son analyse, que partagent certains agents d’insertion et de probation interrogés, la loi de 2014 est un condensé des mesures les plus consensuellement admises à droite comme à gauche : le texte propose un appareillage apparemment plus coercitif (avec ses éléments de langage et ses illusions complètement en décalage avec la réalité matérielle des services d’insertion et de probation), tout en promettant de libérer à tour de bras, faisant ainsi baisser drastiquement et donc visiblement le taux de surpopulation. Pourtant, et c’est aussi quelque chose que l’on sait depuis longtemps, ces sorties sèches induites par l’application de la loi, ne signifient la plupart du temps que des futurs retours en détention.
La simple analyse des trajectoires pré-sentencielles constitue encore un outil quasiment inexploité par les pouvoirs publics en matière de délinquance et de criminalité alors qu’elle constitue l’une des plus probantes grilles de lecture de la fabrique de la délinquance. Les recherches de Lucie Bony, de Marwan Mohammed ou de Didier Fassin viennent rappeler que la communauté de destin entre quartiers et prisons ne doit rien au hasard. La prison, cette « cité avec des barreaux » savamment entretenue par le croisement de plusieurs systèmes de domination, et alimentée par des cohortes de jeunes aux destins volés, reste un laboratoire éprouvé de gestion des « classes dangereuses ». Que penser de la prédisposition des magistrats à user de peines de plus en plus longues ou à recourir de plus en plus souvent à des comparutions immédiates avec mandat de dépôt à l’issue de la sentence, un non-sens absolu au regard de la situation démographique carcérale, qui participe à maintenir des politiques pénales, pénitentiaires et sociales dites « de la domination » ?
Il ne s’agit pas de diaboliser une administration et ses agents, mais comment expliquer l’échec patent et maintenant deux fois séculaire d’une mission aussi importante que celle de l’Administration Pénitentiaire ? Loin de protéger de la récidive, les effets de dé-socialisation/re-socialisation de l’incarcération la facilitent. L’essor du recours aux alternatives à l’emprisonnement et aux dispositifs non-répressifs est dramatiquement lent. L’intention sociale de justice et de réparation de l’éminente question de la peine semble toujours et irrémédiablement devoir souffrir d’une loi d’airain, et le développement des discours et des politiques qui l’entretiennent pose la question fatale…

...À qui profite le crime ?

Je ne crois pas qu’un directeur pénitentiaire se réjouisse de voir grimper le taux de surpopulation de son établissement, ni que cela arrange les surveillants de « gérer » des populations poussées à bout, déshumanisées et parfois prêtes à revendiquer violemment leur droit à la dignité. Ce ne sont d’après moi ni les agents, ni les « usagers » du service pénitentiaire (détenus, familles) qui profitent de l’accroissement du nombre d’occupants des prisons. Le véritable gagnant de l’inflation carcérale, ou en tous cas celui qui n’a aucun intérêt à voir les prisons se vider, c’est le concessionnaire privé qui investit dans ce marché.
Bouygues, Sodexo, Engie ou Eiffage ont rapidement compris les enjeux de la privatisation des établissements pénitentiaires, initiée en 1987 avec le programme dit « 13 000 » [31]. Alors qu’à ce jour aucune évaluation comparative des coûts ne permet de conclure à une performance et une efficacité budgétaires supérieures au modèle de gestion publique, la privatisation des prisons mène son petit bout de chemin sereinement depuis la fin des années 1980 [32]. Inspirée du modèle états-unien du « tout privé », la loi de 1987 autorise en France la délégation de toutes les prestations carcérales à l’exception des fonctions de direction, de greffe, de surveillance et d’insertion et de probation : il s’agissait initialement de la restauration, de la blanchisserie, de la cantine, de l’entretien, du nettoyage et de la maintenance des locaux, ainsi que du transport. Depuis, sont venus s’ajouter à cette liste l’emploi et la formation professionnelle, mais aussi l’accueil des familles aux parloirs.
Depuis 2008, les partenariats public-privé (anciennement AOT-LOA – Autorisation d’Occupation Temporaire- Loyer avec Option d’Achat) permettent à l’État de s’endetter auprès d’une entreprise privée sur une durée d’un minimum de 25 ans, pour la conception, la construction et la maintenance des établissements pénitentiaires, franchissant ainsi un nouveau pallier dans la délégation des services pénitentiaires à un tiers privé. L’État devient un simple locataire, soumis à un engagement exorbitant auprès de ses bailleurs : presque 6 milliards d’euros par an de « loyer » et la promesse de ne rien changer de sa politique carcérale, sous peine de compensations financières à verser à l’entreprise.
Maintenant que l’administration, l’État et les contribuables se sont engagés auprès de Sodexo, Bouygues et consorts, et que cet engagement les lie à une politique carcérale en faveur d’un maintien d’une importante population carcérale, nous pouvons craindre de voir arriver le pire. Bientôt, les politiques publiques carcérales achèveront bel et bien le tournant libéral qu’elles ont amorcé depuis la fin des années 1970, et les derniers budgets alloués aux dispositifs non-répressifs convergeront en totalité vers l’essor continu du marché sécuritaire.
Fouilles intégrales systématiques, multiplication des équipements dédiés à une gestion des corps exorbitante, maintien de l’inflation carcérale : la politique de lutte contre la « radicalisation » en détention se concrétise (dans les faits et les pratiques) presque systématiquement par des dispositifs guidés par une approche sécuritaire, répressive, et mercantile.
Il est pourtant acté que nous sommes dotés de l’appareillage scientifique pour expliquer que plus de cellules construites, ça fait simplement plus de prisonniers, sans faire baisser la surpopulation ; et que les politiques pénales et pénitentiaires ultra-répressives n’ont aucun impact positif sur la lutte contre la récidive.
C’est comme ça, quand ça ne marche pas ça ne marche pas.
Mais comme tôt ou tard les gens finissent bien par se rendre compte que leurs impôts servent des politiques in-opérationnelles, on se met à parler radicalisation en prison, on élabore un solide écran de fumée qui masque l’expression, depuis la création de l’enfermement comme principal outil de la réponse pénale, du pire reflet de notre société.
Il faut dire que c’est plus dans les cordes d’un bon vieux partenariat entre portefeuilles de la coercition que de mettre au point de véritables actions interministérielles qui prendraient au sérieux les avancées en matières criminologiques, d’économie sociale et solidaire, et des sciences humaines développées par des chercheuses-rs et des actrices et acteurs de terrain compétents à travers le monde.

De l’usage dévoyé du concept de radicalité à l’heure de son éminente nécessité

Les mots sont importants, ils peuvent « faire des ravages [. Ils] créent des fantasmes, des peurs, des phobies ou, simplement, des représentations fausses. » [33] J’ai choisi d’utiliser des guillemets chaque fois que j’ai employé les termes « radicalisé », « radicalisation » par souci d’honnêteté intellectuelle et de précision sémantique. Les mots sont importants et désormais l’emploi des notions de radicalité, radicalisme, islam, islamisme, sont injustement empreintes du sceau de l’infamie.
Re-signifier les mots pour les extirper de l’obscurantisme de la langue de bois, c’est se redonner un pouvoir et une puissance de réflexion collective parasitée par des manipulations sémantiques. C’est se réapproprier une définition collective des concepts, des idées, se doter de savoirs communs.
Pour rappel, jusqu’aux années 1970, l’islamisme désignait en France « la religion des musulmans » (même si le mot était déjà concurrencé par la dénomination islam dès le début du XXème siècle). Actuellement, l’emploi quasiment quotidien du mot islamisme, et à fortiori islamisme radical, pour désigner des attaques terroristes revendiquées éhontement au nom de l’Islam, entretient la fabrication de l’ignorance et du rejet qui s’enracine profondément dans la société française face à toute personne de confession musulmane qui refuserait de se plier à l’injonction du « musulman modéré », musulman mais pas trop … (Etrangement, les expressions « chrétien modéré », « juif modéré » ou même « bouddhiste modéré » ne font pas encore partie du vocabulaire officiel.)
Il faudrait donc comprendre, à la lumière de ces précisions sémantiques, que pour ceux qui en parlent le plus, à savoir les pouvoirs publics et les médias, fabricants de l’opinion publique, l’Islam est violent dans sa racine, dans sa nature puisque islamisme et radical ne sont désormais guère dissociés l’un de l’autre dans leurs éléments de langage. Inutile de s’appesantir sur un développement élaboré pour comprendre les conséquences dramatiques de « l’hybridation sémantique » globale qui touche la religion musulmane, d’autres l’ont fait mieux que moi [34].
Par ailleurs si aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif, être radical c’est être un ennemi de la paix sociale, de l’humanité, une sorte d’artisan du néant adepte de la violence physique, ce n’est vraiment pas un hasard non plus.
Car la radicalité, c’est finalement la hantise du possédant, du dominant. La radicalité pousse le dépossédé, le dominé, à remettre en question le système qui l’oppresse à sa racine, à son essence, et à le combattre de manière absolue, totale ou définitive. Il n’y a donc finalement qu’une posture radicale qui puisse initier une véritable porte de sortie du système capitaliste, patriarcal et raciste qui fonde notre civilisation ô combien Moderne. Dévoyer cette notion, c’est s’assurer que personne ne voudra en être le représentant.
Malheureusement pour ceux qui ont tout intérêt à la combattre, la radicalité est l’option que choisissent les militants et les actrices et acteurs d’un véritable changement social à l’échelle mondiale. C’est à travers la rencontre des études et des pratiques non-répressives initiées en Occident (insertion, probation, justice réparatrice…) et celles des approches décoloniales qu’apparaît aujourd’hui une piste de réflexion pour décrypter l’élaboration et la fabrique des classes dangereuses et déconstruire la nocivité de nos rapports aux secteurs pré- et post-sentenciels. Par ailleurs, puisque la prison n’est souvent que le dernier pallier d’une longue carrière de discriminé, il est urgent de traduire et diffuser le champ des militances intersectionnelles en détention, rare proposition crédible d’une lutte efficiente contre l’alliance d’un capitalisme destructeur, d’un patriarcat aliénant et d’un racisme déshumanisant.
Il y a fort à craindre, malheureusement, qu’il ne faille espérer que cet élan ne vienne que d’actrices et d’acteurs non institutionnels et plus ou moins isolés. La tâche est grande, mais elle est inévitable, indispensable et salutaire. S’occuper de nos prisons, c’est s’occuper de notre rapport à la norme, à la déviance, à l’injustice, au vivre-ensemble, à la terre et au bâti, au patrimoine humain commun, rien de moins. La détention n’est pas la solution, c’est un fait. Et c’est l’ampleur du travail que ce constat implique qui désintéresse profondément la minorité d’agents économiques et politiques qui en bénéficient.

[1À titre de précision, pour le Centre National des Ressources textuelles et Lexicales, est radical ce « qui est relatif à la racine, à l’essence de quelque chose » et ce qui est « complet, total, absolu ; sans exception ou atténuation ». Le Larousse parle de ce « qui appartient à la nature profonde, à l’essence d’un être ou d’une chose » et de ce « qui présente un caractère absolu, total ou définitif ».

[2Absence de pensées, d’idées, de contenu, de consistance.

[3Cf. Marc Bernardot, https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=PRO_308_0041,
La gestion des réserves indiennes… à la « French Touch », Conférence gesticulée écrite et jouée par Paolina Caro. https://labodecolonial.wordpress.com/conference-gesticulee/

[5À ce sujet, le billet de maître Eolas : http://www.maitre-eolas.fr/post/2016/07/06/L-indignation-de-Tartuffe

[6Dans un certain nombre d’établissements de province, des surveillants que j’ai rencontrés sont en fait prêts à reconnaître que la radicalisation est le cadet de leurs soucis.

[8« Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ». Les trois principes de nécessité, proportionnalité (individualité) et subsidiarité doivent donc présider au recours à la fouille intégrale. http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/04/26/la-fouille-integrale-en-prison-est-elle-illegale_4908995_4355770.html#oll4aYU2mPmYcGzk.99

[9Une procédure accélérée dont les débats se sont déroulés entre le 1er mars et le 25 mai. Le texte est adopté à l’Assemblée à 474 voix sur 538 votants. https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000031974277&type=general&legislature=14

[10Dans la nomenclature du document provisoire : Titre III, Chapitre Ier, article 111.

[11En témoigne la circulaire adressée aux services pénitentiaires en 2013, pour leur rappeler le cadre de la loi et leur enjoindre de le respecter. La circulaire rappelle que le recours aux fouilles intégrales doit être strictement utilisé au regard des principes de nécessité, proportionnalité et subsidiarité ; le cadre matériel dans lequel elles doivent être réalisées, l’impératif de leur traçabilité ( mais pas d’impératif de leur notification préalable aux concernés) et le fait qu’elles ne bénéficient pas de procédure contradictoire. http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSK1340043N.pdf

[12Dans la nomenclature du document provisoire : Titre Ier, Chapitre II, article 14.

[13La gestion de l’exécution de la peine en milieu fermé a été déléguée successivement à plusieurs ministères. Il est extrêmement intéressant d’observer ces rattachements successifs au regard de la situation politique et socio-économique du pays.

[14Si les revendications portées par le mouvement de contestation des SPIP peuvent sembler très prosaïques, d’après nous c’est peut-être également au phénomène d’ingérence produit par une intrusion extérieure dans leur système interne que réagissent aujourd’hui les services. Ce corps de métier longtemps resté dans l’ombre reçoit depuis plusieurs années de multiples injonctions, parfois contradictoires, et fait ponctuellement mais régulièrement l’objet d’une attention très médiatisée, en général pour invalider son éventuel recours au champ du « non-sécuritaire" et renforcer a posteriori à la fois l’invisibilisation des services et leurs orientations coercitives. A l’intrusion de l’opinion publique et des manipulations politiques dans leur travail, s’ajoute aujourd’hui l’intrusion d’un autre service, d’un autre ministère. La question des grilles indiciaires par exemple, relève de la représentation au sein de l’institution, du pouvoir qu’une fonction manifeste, auprès de ses pairs également. La fonction de conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, occupée par des femmes à 75%, plie déjà sous de lourds défauts de représentation et de considération alors qu’on lui confère l’éminente tâche de lutter contre la récidive ; l’introduction des programmes de déradicalisation est une violente ingérence dans un terrain déjà miné et occupé à remplir une mission de première nécessité. https://blogs.mediapart.fr/observatoire-international-des-prisons-section-francaise/blog/130716/personnels-penitentiaires-la-filiere-insertion-en-quet

[15Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation

[16Dans la nomenclature du document provisoire : Titre Ier, Chapitre II, article 14, http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2015-2016/606.html

[18Les plans de lutte anti-terrorisme, prélude au Plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme, http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/liseuse/7050/master/projet/Plan-d-action-contre-la-radicalisation-et-le-terrorisme.pdf

[19http://www.humanite.fr/cochez-la-case-djihadiste-604591 Le témoignage édifiant de plusieurs CPIP sur la question, où l’on constate, en plus de la confusion des missions républicaines (police/justice), en plus de l’affirmation de la suprématie sécuritaire (la police gagne toujours), la piètre valeur des diagnostics des services de renseignement, ainsi que la pression exercée par ces derniers sur les services pénitentiaires…

[20dem note 25.

[21Mesure n°3 de l’axe n°1 du Plan d’Action contre la Radicalisation et le Terrorisme, Cf. note 26.

[22Tous les détenus actuellement incarcérés en UD sont des personnes écrouées « en lien avec une entreprise terroriste » (au total 194 personnes en région parisienne, soit 1/3 placés en UD), et « s’y trouvent sur le fondement de critères retenus par l’administration pénitentiaire qui ne sont pas clairement explicités ». Rapport de la CGLPL, page 49.

[23Au moment de la mission de contrôle, Fresnes : 197 % (2 691 personnes pour une capacité théorique de 1 500 places), Fleury-Mérogis : 188 % (4 400 personnes pour 2 340 places), Osny : 160 % (922 personnes pour 580 places).

[24Notamment du fait de la disposition des structures : à Fleury, Osny et Lille-Annoeullin, l’unité dédiée est matériellement totalement autonome des autres quartiers, contrairement à Fresnes où certaines activités sont réalisées avec des détenus non-affectés en UD.

[25En milieu fermé : à Fresnes, à Villepinte ; en milieu ouvert : dans le Rhône, les Alpes Maritimes, l’Isère. À ce jour, la recherche-action la plus conséquente est celle qui a été réalisée à Osny et Fleury-Mérogis entre janvier 2015 et mars 2016 par l’Association française des victimes de terrorisme (AfVT) et l’association « Dialogues citoyens ».

[26Rapport CGLPL cité plus haut, page 38.

[28Sur la situation du CP de Faa’a Nuutania : http://www.oip.org/images/stories/OIP/DPNuu_OIP_Juin_2016.pdf

[29L’article 723-15 du Code de Procédure Pénale permet au Juge d’Application des Peines de prononcer un aménagement de peine ab initio, préalablement à l’incarcération.

[31Le programme dits des 13 000 places de prison, qui en prévoyait initialement 15 000, a été amorcé en 1987 par Albin Chalandon, garde des Sceaux. Il a concerné la construction de 21 établissements dont les portes ouvrent entre 1990 et 1992. http://www.archives-judiciaires.justice.gouv.fr/index.php?rubrique=10774&ssrubrique=10829&article=15121

[32Au 1er janvier 2016, 68 prisons sur 188 sont en partie gérées par un tiers privé.

[33Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Raisons d’Agir, 1998

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