La lutte contre le sida à l’épreuve du racisme d’État

Jerôme Martin /

Jerôme Martin

Enseignant et membre du CEAL (Collectif des enseignant·es pour l’abrogation de la loi du 15 mars contre le voile à l’école) Ancien militant d’ Act Up-Paris, blogueur.

Dans l’un des chapitres de son dernier rapport, l’association Aides témoigne des « mesures discriminatoires » que subissent les personnes migrantes vivant avec le VIH en matière d’accès aux soins.

À l’occasion du 1er décembre, et de sa Journée mondiale de lutte contre le sida, l’association Aides publiait son troisième rapport sur les discriminations que rencontrent les personnes vivant avec le VIH. Elle y étudie non seulement les discriminations directement provoquées par le statut sérologique de la personne (refus de soins, refus d’assurance, par exemple), mais aussi les inégalités systémiques auxquelles les personnes sont confrontées. Des inégalités qui entravent la prévention, le dépistage et l’accès aux soins : homophobie, transphobie, sexisme, et bien sûr racisme.

Sur son mur Facebook, Aides n’a pas hésité à parler de « racisme d’État » à propos de ces discriminations et à assumer l’expression dans les commentaires – alors même qu’un ministre a annoncé récemment porter plainte en diffamation contre le syndicat Sud Éducation pour avoir osé aborder ce concept scientifique dans un stage de formation.

Si l’organisation ne reprend pas l’expression dans le rapport, elle propose dès l’introduction, une analyse politique : « La discrimination constitue un phénomène multidimensionnel, à l’intersection de logiques politiques, juridiques et sociales. Il s’agit de s’attaquer aux multiples facteurs de vulnérabilité qui produisent des inégalités dans l’accès aux soins et à la prévention. Les politiques répressives, minutieusement analysées dans ce rapport, contribuent ainsi aux phénomènes de stigmatisation et aux pratiques discriminatoires. » Il est donc bien question de discriminations structurelles : « AIDES s’attache donc à mettre en évidence le caractère systémique de ces discriminations ».

Le chapitre trois est intitulé « Droit au séjour pour soins : les malades étrangers à l’épreuve de la police sanitaire ». Une introduction épidémiologique rappelle que les migrants sont un groupe vulnérable face à l’épidémie. Un chiffre donne la mesure du poids des inégalités à caractère raciste dans notre système de santé, celui du retard du dépistage : « En 2014, les découvertes de séropositivité à un stade avancé concernent 32 % des migrants-es (contre près de 21 % chez les personnes nées en France ». Le dépistage est donc plus souvent plus tardif chez les migrants que chez les personnes nées en France. Les conséquences sont gravissimes : sur la santé des personnes (un dépistage tardif implique le développement d’une maladie grave signant le stade du sida, qu’on sait aujourd’hui endiguer avec un diagnostic précoce), mais aussi sur la santé publique (la dynamique de l’épidémie repose en grande partie sur sa face cachée, les personnes qui ignorent qu’elles vivent avec le virus).

Le rapport s’attache aux malades sans-papiers en examinant plusieurs dispositifs qui leurs sont réservés : les Pass (permanences d’accès aux soins de santé), l’AME (Aide Médicale d’État, couverture distincte de la Sécurité sociale et de la couverture maladie dite universelle – CMU). Mais c’est surtout au droit à un titre de séjour pour soins que le rapport entend défendre.

L’inexpulsabilité des personnes gravement malades a été mise en place par une loi de 1997, suite à une mobilisation associative de plusieurs années. On se souvient par exemple de l’intervention de Christophe Martet, président de l’époque d’Act Up-Paris, interpellant en 1996 un ministre sur le direct du Sidaction, le traitant d’assassin et qualifiant la France de « pays de merde » après avoir témoigné de l’imminente expulsion d’une femme malade du sida vers le Zaïre.

En 1998, la gauche plurielle accordait une loi ouvrant le droit à un titre de séjour pour soins et ne se contentant pas de la seule inexpulsabilité. Cette victoire militante allait sans cesse être contestée, sous Chirac, et surtout sous Sarkozy. Le dispositif se restreignit au fil des années (voir par exemple la campagne menée par les associations « Un mot des morts » en 2011).

Sous Hollande, le dispositif fut refondé par la loi du 7 mars 2016, qui n’est guère un progrès, regrette Aides. Entre une loi très imparfaite et des pratiques administratives très problématiques – le précédent ministère de l’intérieur, déjà alerté par l’association, s’en était alarmé sans qu’il n’améliore la situation, le droit au séjour pour soins est malmené.

Cela commence avec le délai d’instruction. Plus de 45 % des premières demandes documentées par Aides prennent plus de six mois. Dans 9 % des cas, le demandeur a dû attendre plus d’un an. C’est d’autant plus grave que sur l’ensemble des demandes, 61 % n’ont fait l’objet d’un récepissé remis à la personne, pourtant prévu par la loi. C’est aussi le cas pour les personnes faisant une demande de renouvellement, qui, sans récepissé, se retrouve en rupture de droits.

Quand la demande est honorée, les personnes bénéficient très souvent d’un titre précaire, l’autorisation provisoire de séjour, qui ne dure que quelques mois, n’ouvre pas le droit au travail ou à des prestations comme l’Allocation Adulte Handicapée. Cette délivrance irrégulière d’un titre précaire a été observée par Aides dans 72 % des cas.

Se rajoutent les taxes à payer pour obtenir le titre auquel on a droit, et que la loi de 2016 a fait passer de 106 à 269 euros. Dans 88 % des cas, les personnes n’avaient pas les ressources nécessaires. Certaines d’entre elles peuvent passer par des dispositifs d’aide ad hoc créées par les associations (qui n’ont d’ailleurs pas de fonds illimités). Et les autres ?

Au-delà des procédures irrégulières ou qui dysfonctionnent, c’est la logique de contrôle migratoire et de soupçon permanent de fraude qui l’emportent sur celle de droit et de santé : « Cet objectif affiché de lutte contre la fraude aboutit à faire peser une suspicion systématique sur les demandeurs-ses. Le service médical de l’Ofii peut ainsi convoquer tous les primo-demandeurs-ses. Les personnes doivent alors se déplacer à leurs propres frais dans les délégations de l’Ofii [Office Français de l’immigration et de l’intégration, qui dépend du ministère de l’intérieur], qui peuvent se trouver dans un autre département que celui de leur résidence. Des personnes en instance de renouvellement sont également convoquées. »

Avant la loi de 2016, les demandes étaient examinées par des médecins inspecteurs dépendant du ministère des Affaires sociales, sauf à Paris, où c’était le médecin de la préfecture qui s’en chargeait. Le transfert au service médical de l’OFII n’a pas été salué par les associations, c’est le moins qu’on puisse dire. Quatre mois après la mise en place du nouveau dispositif, les médecins de l’OFII émettaient deux avis négatifs contre les demandes de personnes vivant avec le VIH originaire d’Angola et de Guinée-Conakry. « Ces avis ont été émis par les délégations territoriales de l’Ofii du Nord et d’Île-de-France au mépris des orientations générales du ministère de la Santé précitées. Ces pratiques sont d’autant plus sidérantes que pour la personne originaire de Guinée-Conakry, les médecins de l’ARS ont émis plusieurs avis favorables à son séjour depuis 2014. Et ce, ors même que leurs critères d’évaluation médicale sont bien plus stricts : ces derniers se réfèrent simplement à l’existence du traitement, et non à son bénéfice effectif au regard, par exemple, d’aspects financiers. Les ministères de l’Intérieur et de la Santé ont été saisis de ces situations par l’ODSE, mais à ce jour, ces personnes se trouvent toujours en situation irrégulières, exposées à une mesure de renvoi. »

C’est-à-dire, très clairement, d’une menace de mort.

Même quand l’avis médical est favorable, le préfet n’y est pas tenu. En 2015, avant la réforme, le ministère de l’Intérieur conseillait à la préfecture de Pyrénées-Orientales de s’affranchir des avis des médecins de santé publique et prononcer des refus à des personnes malades. Aides cite de nombreuses preuves d’une « contre-expertise » médicale par les préfectures pour argumenter des refus de droits et qui dépassent les seuls cas de VIH/sida.

Les recours en cas de refus aboutissent à une ouverture de droit dans 25 % des cas. Ce taux, faible au regard des situations révèle selon Aides : « une dénégation de la parole médicale dès lors que celle-ci est en faveur du-de la malade étranger-e : entre des certificats médicaux et un avis médical prévu par la procédure, les tribunaux administratifs accordent davantage de considération à des pièces produites par le ministère de l’Intérieur. »

« Surtout, complète l’association, ces jugements révèlent l’effet perfide de ces contre-enquêtes, qui dénient le droit au secret médical du-de la malade étranger-e. Dans l’ensemble des 17 cas pour lesquels les personnes ont souhaité garder le secret médical, et s’en tenir à l’avis médical de l’ARS qui leur était favorable, les tribunaux ont donné raison aux préfectures. »

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