Le choix difficile d’une jeune malienne en France
Sous mon voile
Serge klk - FOULARD GRAPHIQUE -Paris, le lundi 8 juin 2015 manifestation contre la loi sur le renseignement
Fatimata Diallo est une jeune malienne qui arrive à Paris pour étudier à l’université. Au bout d’un mois, elle décide de se voiler. Dans un livre émouvant, elle raconte ce choix difficile qui provoque l’hostilité de la société française.
Chapitre 2 du livre de Fatimata Diallo, Sous mon voile,col. « raconter la vie, dirigée par Pierre Ronsanvallon et Pauline Peretz, Le Seuil, septembre 2015.
Mon changement
Pour la première fois de ma vie, à Paris, j’étais seule face à moi-même. À Bamako, j’étais toujours avec les parents, la famille, protégée quoi. Les jours qui ont suivi mon arrivée, quand j’étais enfermée chez mon oncle, j’ai beaucoup réfléchi. Je me suis assise et j’ai pensé au sens de la vie.
J’étais venue avec cette vision romantique de la France qui ne collait vraiment pas avec ce qui m’attendait. Je le pressentais déjà. J’étais dans de vrais délires. J’ai compris que je risquais de me laisser aller à sortir, à traîner avec les copains et les copines, à aller au cinéma. Que je pouvais me laisser tenter par la vie facile. Cette vie facile, je l’avais eue à Bamako. Qu’est-ce que ça pouvait donner à Paris, loin de ma famille ?
Avant de venir, j’avais trop fait la fête. J’étais basketteuse ; c’était la liberté totale pour nous, les filles de l’équipe. J’ai commencé quand j’avais 15 ans. C’était une vraie passion. Je ne pensais qu’à ça. Lorsque je rentrais à la maison après un match qu’on avait perdu, je revoyais sans cesse les cerceaux des paniers, je le rejouais complètement, je me disais : « J’aurais dû faire cela, j’aurais pu marquer… » Tous les jours, j’avais entraînement matin et soir. Après l’école, j’allais direct au terrain, j’enfilais mon short et je me mettais à jouer. J’y allais avec la jakarta que mon père m’avait acheté – ce sont ces petites motos chinoises que tout le monde utilise à Bamako. Je roulais à pleine vitesse parce que j’étais souvent à la limite d’être en retard. C’était très dangereux ; la circulation est folle à Bamako. J’ai pris beaucoup trop de risques. Je réalise aujourd’hui que j’ai échappé plusieurs fois à la mort. Sekou, la personne qui m’a aidée à faire Campus France, m’appelait « garçon manqué » peut-être à cause de ma tenue : je portais un jean taille basse, je faisais remonter par-dessus un collant pour cacher ma culotte, en haut un débardeur, sur la peau au-dessus de la poitrine je mettais une chaîne épaisse en argent style américain – j’aimais bien les bijoux – et sur la tête une casquette genre sport américain.
Le week-end, on mangeait, on sortait en boîte, on dansait. On était entre amis, avec les cousins. Avec ma sœur et mon petit frère, on empruntait la voiture de mon père, et on passait chercher les copains pour sortir. Ma meilleure amie Safiatou, Bakary, leurs amis. Bakary, je l’ai connu à Bamako dans notre quartier l’année de mon bac. J’avais 18 ans, lui 10 de plus. Il a arrêté ses études avant le bac. Il faisait du foot, il était dans un grand club, il jouait vraiment bien. Mais il a eu une blessure au pied qui l’a arrêté. Je l’ai rencontré en allant au magasin de chaussures européennes où il travaillait. On a sympathisé et je l’ai invité chez moi. Mes parents l’appréciaient. On sortait le soir en groupe, avec ma sœur et d’autres amis. On s’habillait, on se coiffait, on mettait des bijoux. Mais, maintenant, ce genre de fêtes et de virées, c’est fini pour moi. Je ne le ferai plus. Cousins, cousines, ça va, mais uniquement la famille. Si je vois qu’un homme m’apprécie, s’intéresse à moi, je ne vais pas organiser une petite soirée entre amis. C’est fini ! Ma vie n’a plus rien à voir avec ça.
Avant que les cours commencent à Villetaneuse, j’ai eu comme un éclair. J’ai eu peur de ce que je pouvais devenir si je continuais cette vie facile. Jusqu’où je pouvais aller ? J’ai compris que la prière, ce n’était pas suffisant. Si une personne était plus heureuse que moi, c’est qu’elle obéissait plus à Dieu. J’ai demandé autour de moi aux amis que je venais de me faire à la fac, Kadiatou et Amadou, s’il était obligatoire que la femme se couvre, et ce qu’ils en penseraient si je me voilais. Ils m’ont dit que c’était bien si ma foi avait atteint ce niveau. Ils m’ont encouragée à faire le changement. Même Kadiatou qui n’est pas voilée. J’ai aussi écouté le Coran en français sur internet pour savoir.
Et puis, un jour, trois semaines après mon arrivée, c’est venu. J’ai eu cette envie très forte de porter le voile. Pour une fois, dans la vie, je savais ce que je voulais. Je n’hésitais plus entre deux voies. Je savais ce qu’il fallait faire. J’ai senti cette force en moi et j’ai su que j’étais prête. Grâce au voile, je voulais me protéger moi-même. Je voulais être respectée. Je ne savais pas que mon expérience de la France allait s’en trouver changée. Que j’allais sentir une si forte hostilité. Mais, même si je l’avais su, j’aurais décidé de le porter. Avec une volonté aussi forte. Je suis certaine que je serais une personne complètement différente si je n’avais pas décidé de le mettre.
À Bamako, je faisais les cinq prières chaque jour. Mais je ne savais pas qu’on devait couvrir son corps quand on ne prie pas. Je n’avais jamais imaginé que je porterais le voile un jour. Personne dans ma famille ne le porte. Sauf au village, dans le village de mon grand-père, le père de mon père, qui était imam. Mais là-bas, c’est différent. Je me doutais bien que mon voile allait créer de la distance avec certains de mes proches, même à Bamako. Mon oncle, lui, était inquiet. Il pense aujourd’hui encore que quelqu’un m’a embobinée. Il a essayé de me dissuader. Il m’a dit que c’était ni le bon moment, ni le bon endroit. Encore, si j’étais venue voilée à Paris, il aurait pu comprendre, mais là, non. Avant mon changement, il me disait qu’il avait des tas de projets pour moi, qu’il allait me pistonner pour avoir un boulot, il voulait me gâter. Et du moment que j’ai mis le voile, il a pris ses distances. Il a abandonné tous ses projets pour moi.
Il a immédiatement appelé mon père pour lui dire. Mais moi, je n’ai rien à lui cacher. D’ailleurs, j’en avais déjà parlé à ma mère. Elle avait demandé à Papa de l’argent pour les nouveaux habits dont j’avais besoin. Mais mon père est unique, il comprend ses enfants. Il a dit qu’il n’avait aucun souci avec mon voile. Ma mère, je ne suis pas sûre qu’elle ait compris. Je ne peux pas lui expliquer au téléphone pourquoi je crois que c’est la vie que je veux mener. Quand je rentrerai au Mali, nous pourrons parler. Je veux la persuader que je suis encore la Fatimata qu’elle connaît. Même si j’ai vraiment changé, je suis encore moi-même, la fille qui fait des blagues avec ses frères et sœurs.
Je crois que c’est aussi pour m’aider à tenir la parole que j’ai donnée à Bakary que j’ai décidé de mettre le voile. Je ne voulais pas le trahir. Même si à Bamako j’avais rêvé d’avoir un petit ami français. Il voulait m’épouser avant mon départ. Mon père était d’accord. Quand on a eu 16 et 17 ans, il nous a réunies ma sœur et moi, et il nous a dit : « Vous pouvez vous marier. Vous pouvez choisir avec qui. » Et je sais qu’il tient vraiment à ce que nous soyons libres de choisir. Mais, comme le disait ma mère, le problème, c’est que Bakary ne travaillait pas. Et son père est décédé, donc il a sa famille à charge. Il doit absolument trouver un boulot. Si on s’était marié, il n’aurait pas pu tout payer pour nous deux. À l’époque, j’étais pressée de me marier, mais Bakary n’était pas prêt.
Quand j’ai eu le projet de venir à Paris, il a essayé de venir avec moi. Mais il n’a pas réussi. Une fois ici, j’ai compris que ce n’était pas une bonne idée. C’est trop dur. S’il veut vraiment venir, je l’aiderai, mais là, notre relation se terminera, c’est sûr. S’il vient, ce sera pour l’aventure, pour gagner de l’argent. Et il ne pourra pas rentrer tant qu’il n’en aura pas gagné beaucoup. Sa famille attendra. Or moi, je veux pouvoir rentrer quand j’aurai terminé mes études.